Chacun était arrivé de son côté jusqu'à une vingtaine de lieues au Nord du domaine vers lequel ils cheminaient, puis ils s'étaient retrouvés dans un lieu dont ils avaient convenu et avaient fini le chemin ensemble. C'était littéralement une caravane qui s'avançait à présent. Eh oui... Deux jouteurs, ça voulait dire deux armures. Deux armures, ça voulait dire un sacré barda à trimballer. Et un sacré barda à trimballer, ça voulait dire du monde pour le trimballer... Dans le cas de Sindanarie, ce dernier point était réduit à son strict minimum, c'est-à-dire un homme. Son mentor, pour être exacte, celui qui lui avait appris à tenir une arme quand elle n'était encore qu'enfant, qui lui avait appris à lire et à écrire. Un homme comme on en faisait peu, un des rares auxquels elle aurait confié sa vie. Un homme qui était devenu son indispensable intendant et qui gérait Viam en son absence. Il faudrait d'ailleurs trouver une solution pour Le Freyssinet, pour les périodes où elle serait en mission avec son Ordre... Le sujet n'avait pas encore été abordé mais ne tarderait pas à l'être. Ce jour-là, en tout cas, Elric s'était mué en voyageur et avait amené de Viam l'armure de la jeune femme, une grande tente, le matériel nécessaire de manière plus générale, ainsi qu'un cheval plus lourd que Vengeance pour la joute en elle-même.
De son côté, Argael avait vu plus grand. Ce qui, en soi, paraissait parfaitement normal à la jeune femme. Après tout, il gérait de plus grands domaines et devait probablement, quelque répugnance qu'il puisse avoir à ce sujet, maintenir un train de vie approprié à ses fonctions et à ses titres, qui n'avaient rien à voir avec ceux de sa vassale. Bref, la petite caravane menée par deux cavaliers côte à côte s'avança paisiblement jusqu'à trouver l'entrée du domaine. Côte à côte car, malgré toutes les règles d'étiquette possibles et imaginables, cela demeurait le moyen le plus simple pour converser et prendre des nouvelles. Et l'un comme l'autre étaient bavards...
Quand ils furent arrivés aux portes du domaine, la jeune femme poussa légèrement sa jument baie pour se présenter au garde. Et surtout, pour présenter celui qui voyageait avec elle... Elle n'eut que le temps de lui lancer un coup d'oeil à la fois respectueux et affectueux (comment ne pas se prendre d'affection pour cet ours ?) avant de prendre la bonne résolution de s'avancer en tête pour les derniers pas. Après tout, elle était sa vassale, et il n'allait pas les présenter tous les deux, quand même. Non, c'était à elle de le faire, et elle le ferait. Point. Mettant donc pied à terre d'un bond, elle commença, s'adressant au garde qui semblait chargé d'accueillir les multiples invités qui se pressaient d'arriver :
Messire, le bonjour. Voici Argael Devirieux dit le Fier, Vicomte de Monestier de Briançon, Baron de la Tour du Pin, Seigneur de Saint Giraud, Pair de France et Premier Secrétaire d'Etat, qui vient participer aux joutes organisées en ce domaine. Et puis, euh... Allez, on se lance, jeune femme, quitte à faire rire sous cape ton Elric de mentor, si peu habitué à te voir dans ce cadre... Une grande inspiration, et : Je suis Sindanarie Carsenac, Dame de Viam et du Freyssinet, Chevalier Errant de l'Ordre Royal de la Licorne et Grande Académicienne Royale de France, également attendue pour ces joutes. Pouvez-vous nous indiquer où nous rendre pour monter nos tentes ?
Quoi qu'elle fasse, la jeune femme ne parvenait toujours pas à garder totalement son sérieux à la fin d'une longue (et quelque peu fastidieuse, au moins quand cela la concernait) énumération de titres. En témoignaient, ce jour-là, un sourire réfréné et des ailes de nez frémissantes, signe d'hilarité contenue.