Quand arrive le duc d'Alluyes

[Chartres - campement en bordure de la lice]

PLACE !!! .... FAITES PLACE !!!

Etienne de Vignolles était de mauvais poil. L'hiver, le froid, la neige avaient raison de son humeur joviale.

Quel royaume pourri ! … Fait froid … il pleut … il gèle à fendre pierre… et bientôt la neige !!! le soleil ne s'est pas montré depuis des jours et toujours une seule couleur dans le ciel : Gris … gris et encore gris !!! Un frisson lui parcourut le corps. J'ai froid et puis j'ai les pieds trempés, mes bottes prennent l'eau !!! quel temps de merde !!!!! Il se tourna vers son compagnon monté sur un mulet. Qu'est-ce que tu en penses La Fouine ?? Et ne souris pas bêtement, ce frimas hivernal te change de la douce chaleur qui règne dans le bordel de Dame Claude où tu passes tes soirées quand nous sommes en Orléans.

La petite troupe s'avançait doucement dans le champ qui jouxtait la lice où seraient dressées les tentes des nobles guerriers qui étaient inscrit à la joute. Les gens s'affairaient autour de tentes ou de chevaux. Oriflammes, couleurs étaient hissées de part et d'autres pour signaler les tentes des combattants inscrits à la joute et La Hire était en retard, ce qui avait tendance à l'irriter. Il avançait péniblement parmi une masse compacte d'individus en tout genre. Le champ grouillait de pages, serviteurs et autres valets qui courraient en tous sens. Forgerons et artisans des métiers d'armes allaient de tentes en tentes proposer leurs services accompagnés de mulets qui bouchaient régulièrement le passage de la petite troupe.

PLACE !!

Rien n'y faisait. L'installation de chaque mesnie provoquait un beau remue-ménage dans le champ et La Hire sentait la moutarde lui monter au nez quand il aperçut un espace suffisant pour accueillir les deux tentes du duc d'Alluyes. Il se tourna vers son compagnon, le grand costaud.

La Douceur … passe devant pour écarter ces marauds et libère-nous le passage pour aller dans cet espace suffisamment grand à une cinquantaine de pas à senestre.

Le géant s'exécuta et poussa sans ménagement les badauds immobiles pour permettre à la troupe d'Amahir de passer. Puis lorsqu'ils furent arrivés, Etienne poussa un soupir.

Pfff une bonne chose de faite ! Il donna rapidement ses ordres. La Douceur, la Fouine, occupez-vous de la tente du duc … La Fléche, la Fripouille, occupez-vous de la tente de l'armement. Puis il descendit de sa monture et participa activementau dressage du camp.

Pointilleux, Etienne de Vignolles prenait le temps nécessaire pour que tout soit parfait, n'hésitant pas à aider si besoin il y avait ou à donner des conseils. Seigneur, il préférait pourtant ne pas jouter. Non pas qu'il n'en avait pas l'envie, la technique ou les moyens physiques, mais il préférait continuer de servir son seigneur le duc d'Alluyes tout comme il le faisait lorsqu'il n'était qu'un simple écuyer. Aujourd'hui, la mesnie d'Amahir avait pris de l'importance et la Hire avait été anobli par Lexhor. D'écuyer, Etienne occupait à présent une fonction d'aide de camp. Il ne s'occupait plus des basses besognes mais avait à présent quelques gens à sa disposition, quatre gredins dont un colosse qu'il avait recrutés en son fief d'Ecrosnes. Ces quatre compagnons n'étaient pas bien instruits, mais ils étaient de bonne compagnie et n'avaient pas leur pareil pour chasser le gibier ou pour vider quelques chopines le soir autour du feu de camp. Quelques peu bagarreurs, ils ne fuyaient pas devant une bataille même s'ils évitaient de se frotter à plus lourdement armées qu'eux, préférant se frotter aux fantassins et laisser nobles et chevaliers combattre entre eux.

Quand tout fut installé, il alla lui-même hisser les couleurs du duc d'Alluyes. Il n'allait pas tarder à arriver et il avait un excellent moral, sûr qu'il ne venait pas pour beurrer les tartines !!

Il se recula regarda le drapeau flotter au vent puis se tourna vers ses hommes.

Bon les gars, sortez de quoi manger et boire... et surtout allumez un grand feu !! Si on doit continuer à se les geler, autant se réchauffer les nonosses !

[Arrivée au campement]

C'est à la fois en père et en voisin que le duc d'Alluyes se rendit à Chartres, peu avant que son campement ne soit terminé de monté. Comme à chaque tournois, il retrouva Etienne à la manoeuvre, s'afférant de ci, de là, donnant des ordres et surtout râlant copieusement. Ce qui faisait beaucoup rire le duc qui aimait à arriver avant que tout ne soit en place pour assister à la scène.

Après s'être délecté de tout se remue ménage, Lexhor parcouru les campements à pieds, après avoir laissé aux soin d'Etienne sa monture. Il alla saluer ses amis et connaissances et prendre l'air frais, très frais. Bien couvert, au chaud dans son manteau fleurdelyssé, il ne craignait pas les morsures du froid qui n'attendaient qu'un morceau découvert à attaquer.
Sale temps pour jouter, mais Lexhor aimait l'exercice, et ce n'était pas le froid qui pouvait le refroidir.
Son tour effectué, il retourna à son camp où tout était presque prêt.

Passant sa main sur la nuque de son jeune vassal, qu'il tapota légèrement, le duc sourit en regardant ses tantes, puis la lice.

Belle journée n'est-ce pas Etienne? Fraîche, certes, mais belle. Ce froid est revigorant.
Alors, à ton vis, sera t-elle également bonne?

Etienne ne l'aurait jamais avoué, même sous la torture, mais il aimait les gestes amicaux voire paternels de son suzerain. Il voyait en Lexhor plusieurs personnages selon les circonstances : le suzerain qu'il accompagnait, le seigneur qu'il servait, le pair, le duc qu'il respectait, l'ami de son maitre qu'il suivait, le père qu'il acceptait. la main de Lexhor un peu froide fit frissonner le jeune seigneur mais la vision du duc souriant à ces cotés lui fit un moment oublier le froid qu'il détestait.

Belle journée n'est-ce pas Etienne? Fraîche, certes, mais belle. Ce froid est revigorant. Alors, à ton avis, sera t-elle également bonne?

Le Duc était de bonne humeur, visiblement confiant malgré les conditions climatiques peu favorables à la joute. Plutôt que de parler du temps qu'il ne pourrait pas changer, Etienne préféra entrer dans le vif du sujet.

Je suis allé voir le tableau des oppositions, vous allez rencontrer Dame Leanore pour les éliminatoires. Nous ne l'avons jamais vu jouter mon seigneur, je me demande même si ce ne sont pas ses premières joutes.

La Hire tenait toujours Arod par le licol. Il caressa doucement l'encolure du frison de son seigneur tout en regardant le sol autour de lui. Piétiné par les innombrables passages et les nombreuses flaques d'eau ou de boue, le terrain n'avait plus grand chose de solide et cela le laissait perplexe.

Mon seigneur, ne pensez-vous pas qu'Arod risque de ne pas être à son avantage sur ce terrain ? C'est une monture robuste, puissante, solide, lourde, le terrain risque de ne pas lui être favorable... Ne pensez-vous pas qu'il serait plus judicieux de jouter avec une monture plus légère, plus souple, plus habile en terrain mou ? Vous avez un bel andalou en Alluyes, ce n'est pas très loin, La Flèche pourrait aller le chercher le cas échéant ...

Joignant le geste à la parole, La Hire tapotait du pied dans la boue. Il fit la grimace en sentant son pied s'enfoncer facilement dans la terre, trop facilement d'ailleurs.